Les écoles se sont construites et ont évolué au fil des années, nous vous proposons un retour dans le passé des écoles pour comprendre ce qui a façonné leur modèle et ce que pourrait être leur avenir. Savez-vous depuis quand existent les écoles de commerce ? Que les classes prépa et les concours n’ont pas toujours existé, que les écoles délivraient un diplôme commun auparavant, que les écoles ont souvent changé de nom, que certaines écoles ont fermé et que d’autres ont fusionné ? Vous aurez probablement quelques surprises en lisant cet article.
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1750-1900 : création des premières écoles de commerce
Difficile de connaitre la date exacte de création des premières écoles de commerce. Les premières traces sérieuses remontent aux années 1750 où plusieurs tentatives se multiplient partout en Europe, comme en France avec « l’Académie préparatoire au commerce » à Mulhouse en 1781 (fermée en 1788). La plupart des premières écoles ont eu une durée de vie très éphémère, la plus ancienne école de commerce au monde encore existante est française : il s’agit de l’ESCP, fondée à Paris en 1819 sous le nom d’Ecole Spéciale de Commerce et d’Industrie. Aux Etats-Unis, les premières business school sont apparues plus tardivement vers les années 1900, il s’agit d’établissements créés au sein des Universités déjà existantes.
En France, les écoles supérieures de commerce ont été fondées sur l’initiative de bourgeois et notables, le plus souvent soutenues par les Chambres de Commerce mais autonomes et détachées des Universités (contrairement à l’étranger) :
- L’école de Paris – ESCP (en 1819)
- Rouen – NEOMA (1871)
- Le Havre – EM Normandie (1871)
- Lyon – EMLyon (1872)
- Marseille – KEDGE (1872)
- Lille – SKEMA (1872, fermée en 1881 puis réouverte en 1892)
- Bordeaux – KEDGE (1874)
- HEC Paris (1881)
- Montpellier – Montpellier BS (1897)
- Nancy (1897, fermée définitivement en 1939)
- Dijon – BSB (1899)
- Nantes – Audencia (1900)
- Toulouse – TBS (1903)
- L’Institut commercial de Nancy – ICN (1911)
- HEC Nord – EDHEC (1906)
- Institut Economique – ESSEC (1907)
- ESSCA Angers (1909)
- Clermont – ESC Clermont (1919)
- Strasbourg – EM Strasbourg (1920)
- Reims – NEOMA (1926)
- INSEAD (1957)
- Poitiers – ESCEM (1961)
- Brest – BBS (1962)
- Amiens – ESC Amiens (1962)
- ISC Paris (1963)
- Nice – SKEMA (1963)
- Saint-Etienne – ESC Saint Etienne (1963, fermée en 2014)
- IESEG Lille (1964)
- Chambéry – ESC Chambéry (1968, fermée en 2012)
- Pau – ESC Pau (1969)
- INSEEC Paris (1975)
- INT Management – TEM (1979)
- Tours – ESCEM (1981)
- Grenoble – GEM (1984)
- La Rochelle – Sup de co La Rochelle (1988)
- Rennes – Rennes SB (1990)
- Troyes – ESC Troyes (1992) etc.
Voici une liste non exhaustive des plus grandes écoles, mais au total on dénombre entre 200 et 300 écoles de commerce en France de Bac+3 à Bac+5.
1800-1900 : des débuts difficiles des écoles de commerce
A l’origine, ces écoles avaient pour but de former des négociants et des marchands (principalement issus de familles bourgeoises capables de s’acquitter des frais de scolarité), autour de 3 matières principales théoriques (droit, comptabilité et langues) et de nombreux cas pratique de mise en situation. La particularité de ces institutions, en comparaison avec l’enseignement théorique de masse (cours magistraux) des universités, était leur petite taille permettant notamment un enseignement sur mesure et un suivi individualisé.
Les enfants de commerçants et d’industriels étant déjà assurés d’avoir un emploi en reprenant bien souvent l’affaire familiale, ils étaient peu motivés à l’idée d’obtenir un diplôme. En outre, les écoles de commerce n’étaient pas considérées comme de Grandes Ecoles : elles restaient un second choix face aux écoles d’ingénieurs, socialement et historiquement mieux considérées.
De nombreuses écoles ont connu des crises financières chroniques au cours de leur existence, jusqu’à frôler la faillite pour certaines ou fermer provisoirement pour d’autres (y compris pour les plus prestigieuses écoles, comme par exemple l’ESSEC sauvée de la faillite par la CCI Versailles en 1980), ou fermer provisoirement pour d’autres, voire disparaître définitivement (nous y reviendrons ci-après).
1890 : reconnaissance des diplômes par l’Etat
HEC Paris et l’ESC Paris (ESCP) sont les premières écoles a avoir obtenu la reconnaissance officielle de leur diplôme par l’Etat, permettant ainsi de renforcer leur crédibilité face aux écoles d’ingénieurs et aux Licences universitaires, et aussi d’obtenir une participation financière de l’Etat au financement de ces établissements. En contrepartie, les écoles durent accepter un certain nombre d’obligations, et ont basculé au statut « d’écoles consulaires » (semi-privées et gérées indirectement par l’Etat par le biais d’une Chambre de Commerce et d’Industrie).
1892-1920 : HEC instaure un concours d’entrée, les autres écoles imitent le modèle
Dans la continuité de sa reconnaissance par l’Etat, HEC a progressivement mis en place un concours afin de rompre son image d’école facile pour « fils de bonne famille » et se démarquer des autres écoles à dimension plus « locale ». Mais ces dernières vont aussi peu à peu instaurer leur propre concours d’entrée. En conséquence, c’est la sélectivité au concours qui a rapidement fait la notoriété des écoles (indépendamment de la qualité de la formation dispensée à l’école) ; une spécificité qui perdure encore de nos jours comparée aux universités.
1900-1920 : HEC crée les premières classes préparatoires, les autres écoles vont suivre
Historiquement les classes préparatoires étaient destinées au recrutement dans les armées, puis ce système de recrutement fut appliqué aux écoles d’ingénieurs à leur création vers les années 1800. Pour imposer sa suprématie et accéder au statut de « Grande Ecole », HEC décida de créer la classe préparatoire HEC « la prépa HEC » spécifique à l’entrée de cette école, intégrée et enseignée à HEC. En 1923 plusieurs prépas HEC apparaissent aussi dans les lycées : concrètement il s’agit d’une année d’étude préparatoire avant l’entrée en école de commerce, avec un enseignement généraliste dans la continuité du programme de Terminale, mais qui paradoxalement n’a quasiment aucun rapport direct avec le commerce, le management ou la finance. Progressivement les autres écoles de commerce vont imiter HEC en créant les « prépas intégrées », ou plus vulgairement « épices ». Pour autant, certaines écoles de commerce ont continué à recruter les élèves après le bac (et non après une prépa). Etant donné que les meilleures écoles de commerce françaises ont fait le choix de recruter après une classe prépa (à l’image des écoles d’ingénieurs), toutes les autres écoles recrutant aussi sur prépa ont profité d’une meilleure reconnaissance (sentiment encore partagé de nos jours).
Autour des années 1970, l’Etat procéda à une fusion des deux types de classes préparatoires (classes prépa HEC et classes prépa intégrées aux autres écoles) pour former ce que l’on appelle encore de nos jours les « prépas économiques et commerciales ». Enfin, en 1996, la prépa passa à deux années d’études après bac. Cela reste une spécificité française qui a façonné la notoriété des écoles, mais cela rend aussi le système incompréhensible à l’étranger.
1947-1991 : l’Etat réforme le cadre des écoles de commerce (ESCAE)
C’est véritablement suite à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, sous l’impulsion de l’Etat, que les écoles de commerce ont fini par obtenir le statut de Grande Ecole (au même titre que les écoles d’ingénieurs). Dans un décret de 1947, l’Etat a instauré un cadre commun aux écoles de commerce : les écoles sont regroupées sous forme de réseau des Ecoles Supérieures de Commerce et d’Administration des Entreprises « ESCAE », l‘enseignement est passé de 2 à 3 ans d’études, elles délivraient un diplôme commun (le diplôme d’enseignement commercial supérieur « DECS », puis le diplôme d’études supérieures commerciales, administratives et financières « DESCAF »), enfin un examen final commun à toutes les ESCAE validait la formation.
HEC, l’ESSEC et HEC Nord (EDHEC) sont restées à l’écart de ce cadre commun, voulant imposer leur supériorité et ne pas être associées aux autres écoles. Mais en 1969 l’ESCAE Paris (devenue ESCP) décide de quitter le réseau, suivie au fil des années par d’autres écoles jusqu’en 1991 où le réseau des ESCAE prit fin. Depuis cette date chaque école délivre son propre diplôme (diplôme de l’école X ou Y), bien qu’il soit communément appelé de nos jours « Master Grande Ecole » par l’ensemble des écoles pour plus de lisibilité.
1950-1970 : 3 écoles se sont imposées très tôt, HEC, ESSEC et ESCP
Deux institutions se faisaient face, l’Etat et la CCI Paris d’un côté (avec son école HEC, et dans une moindre mesure ESCP), et de l’autre l’église et l’école catholique (avec son école ESSEC). Malgré de fortes rivalités, HEC s’imposa rapidement comme le leader incontesté des écoles de commerce françaises, une école d’élite qui a fait sa réputation en sélectionnant ses étudiants sur leur niveau académique et social (l’école était réservée aux familles bourgeoises et le prix de la formation était 2 fois plus élevé que ses concurrentes). L’ESCP, longtemps restée dans l’ombre d’HEC sur laquelle la CCI Paris misait davantage, finit aussi par s’imposer progressivement au niveau national aux cotés d’HEC et de l’ESSEC pour former ce que l’on appelle communément « les 3 parisiennes », expression apparue vers les années 1970 pour désigner les 3 meilleures écoles de commerce. L’implantation de ces écoles, au cœur de la capitale, a beaucoup joué dans leur développement comparé aux autres écoles de province dont l’impact était seulement régional.
HEC et l’ESSEC ont quitté Paris pour se développer en banlieue parisienne sur le modèle des grands campus américains (permettant de souder les étudiants : ils étudient, vivent et dorment sur place), tandis que l’ESCP – restée sur Paris – misera quelques années plus tard sur une stratégie de développement multi-campus au coeur des principales capitales européennes.
1950 à nos jours : Etats-Unis (MBA) vs Europe (MiM)
A partir des années 1950 on assiste à la confrontation de 2 formations internationales : le modèle américain qui tend à imposer son Master of Business Administration (MBA) dans le monde entier, et le modèle français/européen caractérisé par le Master – Grande Ecole – in Management (MiM). Le MBA semble être devenu le standard international au fil du temps, mais en France (bien que les écoles enseignent désormais aussi des MBAs), c’est encore le MiM qui détermine la valeur des écoles. Disposer de leur propre appellation permet aussi aux Grandes Ecoles européennes et françaises d’émerger dans les classements mondiaux dédiés aux MiM, plutôt que d’être noyées dans les classements MBA trustés par les Universités américaines.
1955 : création des « écoles universitaires de management » (IAE)
Les universités avaient pris du retard face aux écoles et ont décidé de créer les Instituts d’Administration des Entreprises (« IAE », inspiré du nom des écoles à l’époque « ESCAE ») dont la formation phare est le Certificat d’Aptitude à l’Administration des Entreprises (CAAE devenu plus tard MAE pour Master Administration des Entreprises). Le plus ancien est l’IAE d’Aix (aussi le plus réputé), véritable composante de l’Université Aix-Marseille sur le même modèle que les Business Schools américaines. Mais l’offre de formation en gestion proposée par les IAE n’en était qu’à ses débuts alors que les écoles de commerce avaient réussi à imposer leur légitimité.
1960-1985 : l’âge d’or pour les écoles
Dans un contexte de forte croissance économique (30 glorieuses), les entreprises s’arrachaient les diplômés dotés d’un parchemin « école de commerce », principalement durant les années 1980 : les jeunes étaient assurés de trouver un emploi bien rémunéré. Dans ce contexte une cinquantaine d’écoles – dont certaines totalement privées (ISG, ISC, INSEEC…) – se créent un peu partout en France, avec ou sans le visa du ministère de l’Education nationale.
1973 : création de la Conférence des Grandes Ecoles (CGE)
Pour se démarquer et améliorer leur notoriété, les meilleures écoles d’ingénieurs et de commerce ont créé la Conférence des Grandes Ecoles « CGE ». Autrefois, il s’agissait d’un cercle très fermé constitué des meilleures écoles, de nos jours toutes les écoles recrutant sur prépa en sont membres, y compris certaines écoles post-bac (35 écoles de commerce et de management).
1987-1997 : les écoles en crise, effondrement du nombre de candidats
Le chômage finit par toucher aussi les cadres diplômés d’écoles de commerce, on commence à parler des premiers diplômés sans emploi et de la filière « HEC-ANPE » ! Le doute s’immisce dans les esprits des élèves et des familles : le diplôme vaut-il le coût élevé de la scolarité ? Un emploi à la sortie est-il toujours assuré ?
Les écoles ont enregistré progressivement une baisse du nombre de candidats aux concours. Il va même s’effondrer en 1996 du fait de l’allongement à deux ans de la scolarité en classe prépa : passant de 16 000 en 1990 à 5500 candidats à 1997, alors que la trentaine d’écoles de l’époque offraient 6 000 places. Pour certaines écoles, la question de la sélectivité est alors sérieusement remise en cause : pour compenser la diminution du nombre de candidats, certains établissements baissent leur barre d’admissibilité.
1987-1990 : publication des premiers classements des écoles de commerce
Jusqu’ici, mis à part HEC, les étudiants intégraient majoritairement l’école proche de chez eux, d’autant plus que le diplôme était commun à la plupart des écoles. Il y avait donc peu d’intérêt à aller dans une école en particulier plutôt qu’une autre, mis à part la situation géographique. Mais en 1991, suite à la dissolution du réseau des « ESCAE », chaque école propose son propre diplôme et la valeur de ce dernier dépend désormais de la notoriété de chaque établissement.
En parallèle, rappelons que le nombre de candidats aux concours avait fortement baissé, alors que de nombreuses nouvelles écoles s’étaient créées récemment, creusant l’écart entre l’offre abondante de places en écoles de commerce et le nombre réel de candidats.
Dans ce contexte de forte concurrence entre les écoles, les premiers classements écoles de commerce sont édités par les magazines à la fin des années 80. Ainsi, les étudiants sont désormais prêts à quitter leur région pour intégrer une école dite « mieux classée ».
1987-1991 : création des concours mutualisés entres écoles (BCE, Ecricome)
Jusqu’ici, les candidats devaient se rendre dans chaque école de commerce pour passer le concours d’entrée, cela était devenu très compliqué à gérer (trajets, épreuves et coûts démultipliés, parfois des dates incompatibles etc.). En 1987, l’EDHEC, les ESC Reims et Rouen (aujourd’hui NEOMA) et l’ICN ont créé un concours mutualisé pour les écrits – Ecricome – bien que chaque école définisse les coefficients qu’elle souhaite appliquer aux épreuves et conserve son propre entretien oral. Trois ans plus tard en 1991, conjugué avec la fin du réseau des « ESCAE », un autre concours similaire a vu le jour avec la Banque Commune d’Epreuves (BCE), qui associe les écrits d’HEC, de l’ESSEC, de l’ESCP et de toutes les autres ESC de province.
1997 : premiers changements de nom
Les établissements se sont fait appeler pendant longtemps « écoles de commerce de [Ville] », elles se sont parfois regroupées sous forme de réseaux appelés Ecoles Supérieures de Commerce et d’Administration des Entreprises « ESCAE », ou encore Sup de Co pour « école SUPérieure DE COmmerce », puis le plus connu « ESC » pour Ecole Supérieures de Commerce. Mais pour se démarquer des autres écoles et avoir leur propre identité, en 1997 l’ESC Nice change de nom pour le CERAM (aujourd’hui appelée SKEMA) et l’ESC Lyon se fait désormais appeler EM Lyon. D’autres écoles vont suivre cette tendance au fur et à mesure des années, comme l’ESC Nantes Atlantique qui devient Audencia en 2000, l’ESC Marseille qui devient Euromed en 2003 (aujourd’hui appelée KEDGE). D’autres écoles se contenteront de remplacer « ESC » par « EM » pour Ecole de Management, ou « BS » pour Business School, tout en conservant leur position géographique dans leur nom.
Beaucoup de nouveaux noms difficiles à mémoriser, si bien que professionnels et étudiants continueront à appeler pendant longtemps (même encore aujourd’hui) les écoles de commerce « ESC [Ville] » ou même ne citer que la Ville « j’ai fait Toulouse ». Il n’existe à ce jour plus que 4 écoles qui utilisent encore officiellement le terme ESC dans leur nom (Clermont, Pau, Troyes et Amiens). Il est vrai que ce sigle commun était pourtant une façon de se démarquer des nombreuses autres écoles ayant leur propre appellation, notamment post-bac, et qui ont du mal à accroître la notoriété de leur nom isolé. Il est en effet plus difficile de retenir 40 noms d’écoles alors que la simple appellation « ESC » suffisait à identifier rapidement une école de qualité.
1998-1999 : premières fusions entre écoles de commerce
Premières à initier le mouvement, les ESC Tours et Poitiers ont fusionné et donné naissance à l’ESCEM en 1998 : une fusion qui a porté ses fruits puisque l’école a amélioré rapidement son image, montait dans les classements et renforçait sa sélectivité au concours. Puis en 1999, l’ESCP et l’EAP (toutes deux détenues par la CCI Paris) ont aussi fusionné pour former l’ESCP-EAP, devenue ESCP Business School.
Ces fusions sont délicates à mener dans la mesure où elles donnent lieu à la création de nouvelles marques, et les réseaux d’anciens des écoles issues des fusions sont généralement réticents (puisque attachés au nom de l’école où ils ont étudié et à l’intégrité de leur diplôme). C’est aussi pour cette raison que la fusion entre HEC et l’ESCP, toutes deux détenues par la CCI Paris, fut souvent envisagée au cour de leur existence (même encore récemment), mais ne s’est jamais concrétisée.
1999 à 2009 : la course aux accréditations internationales
Nous avons assisté depuis les années 2000 à l’ouverture plus marquée des écoles à l’international, et de fait à une course aux labels internationaux AACSB (label américain), EQUIS (label européen) et AMBA (label britannique). Labels « d’excellence » au début des années 2000 car seules les meilleures écoles en bénéficiaient, les autres écoles ont suivi par mimétisme bien que les procédures d’accréditation et les exigences induites sont très coûteuses, difficiles à remplir et non adaptées aux plus petites institutions. Vers les années 2005, pour se démarquer le nouveau « must » consistait à posséder la triple accréditation.
En 2006 l’ESC Clermont (une école que l’on peut situer autour de la 20e place à l’époque) obtient l’accréditation AACSB en même temps qu’Audencia (alors classée 6e école), et surtout rappelons-le : avant de meilleures écoles de l’époque telles que les ESC Reims et Rouen (NEOMA), Bordeaux & Euromed (KEDGE), Lille & Ceram (SKEMA), ICN, ESCEM etc. Bien qu’étant une excellente nouvelle pour l’ESC Clermont, cela n’a malheureusement eu aucun impact durant les années qui ont suivi sur sa renommée, au contraire cela a surtout jeté un discrédit sur la difficulté d’obtention des labels internationaux et leur réelle utilité à partir du moment où toutes les écoles françaises finissaient par les décrocher (on assiste finalement au même phénomène pour l’appartenance à la Conférence des Grandes Ecoles). Désormais ces accréditations sont beaucoup plus courantes et ont perdu de leur éclat, ne pas avoir au moins une accréditation internationale est devenu presque anormal.
En 2009 l’ESCEM perdait le label EQUIS, c’est la première école à perdre un de ses labels. Elle fera appel de cette décision, récupérera le label pour finalement le perdre définitivement en 2011. Cela apporte une nouvelle donne : l’obtention d’une accréditation internationale fait la force d’une école mais aussi sa plus grande faiblesse lorsque qu’elle perd cette accréditation. Cela s’est effectivement ressenti très rapidement sur les choix des étudiants aux concours et plus globalement sur la renommée de l’école.
2002 à 2012 : explosion de l’offre de formation (MS, MSc, bachelor, Executive etc.)
Dans un contexte où les chambres de commerce (CCI) sont de moins en moins parties prenantes au financement et à la gouvernance des Ecoles Supérieures de Commerce comme c’était le cas auparavant, les écoles doivent trouver de nouvelles ressources pour assurer leur survie financière : augmentation des frais de scolarité, création de nouvelles formations et accroissement de l’activité de formation continue (pour cadres).
Ces dernières années nous avons donc assisté à une explosion de l’offre de formations annexes par les écoles : Bachelors, Mastères Spécialisés, MBA, Master of Science. Autant de termes qui ne sont pas protégés et ne débouchent sur aucun diplôme national officiel, un peu comme des seconds vins profitant de la marque et des infrastructures des écoles, du même corps professoral, mais avec une sélectivité à l’entrée assez faible et des frais de scolarité très élevés. Un véritable essor, si bien que depuis 2010 ces autres formations sont affichées sur les sites web et les plaquettes au même niveau que le véritable diplôme des écoles (le Master Grande Ecole), tout cela semble assez flou pour un néophyte et c’est d’ailleurs probablement le but recherché.
On en vient à se demander s’il ne devient pas plus intéressant de faire un master gratuit à l’université puis une année de spécialisation au sein des plus prestigieuses écoles : l’accès y est beaucoup plus simple (parfois un simple dossier de candidature), et bien que le coût soit élevé cela revient moins cher au global lissé sur la totalité des études supérieures (1 x 20 000€ contre 3 x 10-15 000€).
2007 à 2013 : les écoles de commerce en pleine fusion
Nous assistons à la fusion de nombreuses écoles durant cette période, certaines sont de vraies réussites, d’autres semblent plus fragiles et certaines ont échoué.
En 2007 l’IECS Strasbourg fusionne non pas avec une autre école de commerce mais avec l’IAE de l’Université de Strasbourg pour former l’EM Strasbourg.
En 2009, les écoles ESC Lille et le CERAM fusionnent et donnent naissance à SKEMA, chaque école devenant un campus de cette nouvelle entité.
En 2012 on assiste à la plus grosse fusion d’écoles, Sup de Co Amiens, ESC Brest, ESC Clermont et ESCEM (elle-même issue de la fusion Tours-Poitiers en 98) deviennent une seule grosse école avec ses 5 campus : France Business School « FBS ». Le budget de cette nouvelle école de l’ordre de 65 millions d’euros devait la placer en 4e position, derrière HEC, l’ESSEC et l’ESCP, et devant l’EM Lyon. Avec 103 enseignants docteurs, elle devait se situer, là encore, dans le « top 5 ». Plus qu’une fusion, le projet se veut l’invention d’un nouveau type d’école qui casse les codes traditionnels des ESC « à la française », à commencer par le modèle classique de recrutement des étudiants via classes préparatoires HEC : à la place d’un concours France Business School fait le choix d’évaluer les candidats à travers des tests, des entretiens et des jeux de rôles.
En 2013, Bordeaux EM fusionne avec Euromed pour donner naissance à KEDGE. La même année Reims MS et Rouen BS, les 2 écoles rivales dans les classements depuis de nombreuses années s’associent pour former une nouvelle école : NEOMA. Qui ne se souvient pas de ces éternels débats inépuisables entre étudiants sur les forums de discussions « ESC Reims ou ESC Rouen ?».., voilà le problème réglé puisqu’il s’agit désormais d’une même école.
2012 à 2019 : un modèle en danger, disparition de certaines écoles de commerce
Après 44 ans d’existence, malgré sa récente intégration au sein de la Conférence des Grandes Ecoles, l’ESC Chambéry ne parvient pas à se faire une place au niveau national et souffre d’un déficit d’image. L’école disparaît en 2012 et se fait racheter par l’INSEEC qui en fait son nouveau campus « INSEEC Alpes-Savoie ».
Cette même année 2012, l’ESC Saint-Etienne perd son grade officiel de Master Bac+5 et ne parvient plus à attirer suffisamment d’étudiants. L’école annonce sa fermeture, les étudiants en place finissent [heureusement] malgré tout leur cursus entamé (la dernière promotion est diplômée en 2015). En 2015, après plus de 50 ans l’école disparaît officiellement et se fait absorber par l’EMLyon qui en fait son campus dédié aux Bachelors (Bac+3/4).
A peine 2 ans après la création de France Business School, en 2014 la fusion entre les ESC Amiens, Brest, Clermont et l’ESCEM échoue, les écoles reprennent leur autonomie pour tenter de résister à la faillite et à leur fermeture. La perte financière totale est estimée à 36 millions d’euros pour les Chambres de Commerce, sans compter l’impact social avec le licenciement de 180 personnes sur les 600 salariés. La nouvelle approche n’a pas séduit le milieu conservateur des grandes écoles, car si l’ESC Clermont et l’ESCEM étaient de niveau relativement similaire (sur leur renommée, leur sélectivité, leurs labels et accréditations), Sup de Co Amiens et l’ESC Brest étaient classées au bas de tous les classements depuis de nombreuses années. Se pose alors la question de l’identité de cette nouvelle école FBS : les écarts de niveau entre les écoles issues de la fusion conjugués au fait que l’école ne recrute plus via le concours prépa historique, lui fait perdre tout crédit auprès des étudiants, des professionnels et même du ministère de l’Education nationale qui décide de lui retirer le précieux grade de Master. Alors que l’ESC Clermont et l’ESC Brest réussissent tant bien que mal à se refaire une place dans le paysage des Grandes Ecoles, l’ESCEM et l’ESC Amiens peinent à récupérer leurs labels officiels (notamment le Grade de Master bac+5) et, finalement, seuls les Bachelors bac+3 continuent d’y être enseignés. L’ESCEM est finalement rachetée par le Groupe Sup de Co La Rochelle, convaincue que la « marque ESCEM » a une valeur sur le marché, avec pour projet de relancer le Master Grande Ecole à la rentrée 2018, « l’ESCEM le doit à ses anciens » estime le directeur de l’ESC La Rochelle.
Enfin en 2016, la CCI Paris annonce l’arrêt de l’école Novancia – elle même issue de la fusion en 2011 des écoles Advancia et Negocia/Negosup – qui fermera définitivement ses portes en 2019 (le temps que les étudiants en place terminent leur formation). Les locaux sont repris par l’ESCP qui en fait son campus Bachelor et Executive.
Cela apporte un autre regard sur ces prestigieuses écoles, aussi grandes et anciennes soient-elles, elles peuvent disparaître du jour au lendemain.
Bilan de ces dernières années ?
En 10 ans le paysage des écoles de commerce s’est totalement transformé et le nombre de grandes écoles a diminué avec les fusions et disparitions. Des écoles très reconnues depuis plusieurs dizaines d’années – même de grandes structures – disparaissent ou deviennent des poids légers du fait que les autres se sont regroupées. On assiste à une homogénéisation des écoles, notamment à cause de cette fameuse course aux accréditations internationales coûteuses et les obligeant à se conformer aux mêmes standards. La fusion entre écoles apparaît comme la solution quasi systématique, invoquant de soi-disant économies. Pourtant Fusion ne rime pas nécessairement avec qualité et les critiques au gigantisme sont nombreuses : en quoi une institution qui rassemblerait le plus grand nombre conduirait à un enseignement de meilleure qualité (Harvard ne forme que des petites promotions) ou à une meilleure intégration des étudiants dans la vie active ? L’enseignement individualisé, la dimension humaine et l’ambiance quasi « familiale » (qui ont fait la force des écoles face aux Universités) tendent à disparaître : un mastodonte de 10.000 étudiants, répartis sur plusieurs campus et plusieurs villes, n’a plus rien à voir avec une école de 1.500 élèves.
Pour autant des écoles comme Audencia, Toulouse BS ou Grenoble EM, encore très bien classées devant ces nouveaux monstres que sont devenues les écoles SKEMA, KEDGE et NEOMA, pourront-elles demeurer isolées ? Les meilleures écoles historiques d’aujourd’hui le seront-elles encore demain ? Les Universités et les IAE, soutenus par l’Etat et se faisant appeler désormais aussi « Business School », ne vont-ils pas finir par s’imposer lentement mais sûrement ? Nos écoles, y compris les très grandes parisiennes, ne sont-elles pas vouées à mourir face à la concurrence internationale où les business School étrangères disposent de moyens considérables comparé aux nôtres ? La digitalisation et la transformation du modèle pédagogique promettent un bouleversement de notre système éducatif, laissant l’opportunité aux marques les plus innovantes, celles qui oseront une réelle différence – y compris aux nouveaux entrants – de s’imposer sur le marché de l’enseignement.