Après avoir été diplômé du Programme Grande Ecole d’Audencia, Antoine des Noyers a rejoint la prestigieuse banque J.P. Morgan. Il y évolue depuis près de 14 ans et travaille aujourd’hui à Singapour en tant que Southeast Asia Head of Alternative Investments. Découvrez son parcours et ses conseils pour travailler en gestion d’actifs !
Bonjour Antoine, pourrais-tu te présenter et nous parler de ton parcours ?
Après avoir fait une prépa HEC à Saint-Louis (Paris), j’ai intégré Audencia en Programme Grande École en 2006. Je pense pouvoir dire que j’ai eu énormément de chance dans mon parcours car j’ai pu commencer ma carrière chez J.P. Morgan, qui est réputé pour être une des banques qui forment le mieux ses juniors.
Comment se sont passées tes études à Audencia ?
Les années d’école ont été de très belles années, j’y ai rencontré des personnes qui sont encore des amis aujourd’hui. Je pense que, comme beaucoup d’étudiants, j’ai ressenti un gros décalage entre la prépa et l’école, décalage que j’ai décidé de combler en enchaînant les stages et les expériences professionnelles. A côté de ça, je me suis lancé dans l’entrepreneuriat. Selon moi, quand on est ambitieux et que l’on veut intégrer des domaines qui sont, en France, plutôt destinés à des étudiants d’écoles type HEC, l’ESSEC ou l’ESCP, on peut aussi y parvenir en réalisant l’effort supplémentaire qui permettra de rattraper ces étudiants. Je connais d’ailleurs plusieurs personnes de ma promo qui ont des carrières impressionnantes en finance d’entreprise et finance de marché.
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Tu t’étais lancé dans l’entrepreneuriat pendant tes études : pourquoi ne pas avoir choisi de commencer à travailler au sein d’une startup ?
Je suis très admiratif des personnes qui se lancent dans l’entrepreneuriat sans avoir de filet de sécurité. Elles font preuve d’un courage incroyable. De mon côté, je préférais avoir la sécurité d’un « brand name » et d’une grosse entreprise où j’allais apprendre un métier et être formé. Je voulais aussi faire de la finance de marché, et cela est assez peu accessible en start-up en sortie d’école.
Par exemple, le VC (capital-risque : méthode de financement utilisée par les start-ups et jeunes entreprises qui cherchent à se développer) est assez difficilement accessible sans avoir fait du Private Equity (partie de la finance d’entreprise qui consiste à investir dans des entreprises non-cotées) ou sans avoir été entrepreneur à succès avant. Les jeunes qui réussissent à y rentrer ont un CV très compétitif, avec notamment un nom d’école comme Polytechnique ou HEC.
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Comment s’est passée ton entrée sur le marché du travail après tes études à Audencia ?
J’étais un peu stressé de commencer ma carrière en finance après la crise de 2008 car j’ai vu certains de mes collègues disparaître du jour au lendemain. On comprend alors qu’on est sur une activité cyclique et qu’il faut accepter de voir ses équipes bouger et changer régulièrement.
En arrivant chez J.P. Morgan, j’avais un bagage de finance de marché qui était plutôt axé vers le marché des actions puisque j’avais cumulé un peu plus de deux ans d’expériences professionnelles dans ce domaine pendant mes études. Le poste que j’ai décroché était un peu plus généraliste car il ne se limitait pas au marché des actions. J’étais ce qu’on appelle un investisseur : je travaillais sur les marchés financiers auprès d’une clientèle assez variée comprenant des familiy offices, entrepreneurs et clients privés en Europe et dans les pays émergents pour les aider à mettre en place des stratégies d’investissement. J’ai fait cela pendant deux ans au sein d’une grosse équipe, ce qui était extrêmement formateur. J’étais avec des gens plus expérimentés qui prenaient le temps de m’aider quand je rencontrais des difficultés et de me faire monter en compétences.
Très rapidement, je me suis spécialisé en Private Equity et, dans une moindre mesure, le hedge fund (fonds d’investissement spéculatif qui se destine généralement à une clientèle fortunée qui souhaite faire fructifier son argent). J’ai donc bifurqué vers les investissements alternatifs et suis devenu spécialiste sur cette classe d’actifs et c’est sur cette dernière que j’évolue de façon exclusive depuis 12 ans. J’ai commencé en couvrant le secteur de l’Europe et du Moyen-Orient et, depuis 1 an et demi, je suis en Asie où je couvre l’Asie du Sud-Est, la Chine et l’Australie.
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Comment se passe le recrutement en banque privée ?
De mon côté, j’ai été très agréablement surpris du nombre de réponses que j’ai obtenues juste en personnalisant ma candidature. On peut facilement se dire que, puisqu’on ne sort pas d’HEC, notre CV va se retrouver tout en bas de la pile, ce qui n’est en réalité pas le cas. Avec un gros travail de recherche en amont, tant sur l’entreprise que sur le poste ou la personne à contacter, on arrive à décrocher des contacts et à se bâtir un mini-réseau qui est très utile lors de la recherche d’emplois.
En termes de préparation aux entretiens, il y a une dimension bachotage indéniable afin de pouvoir répondre aux questions techniques. Cependant, je pense que le principal est vraiment la motivation et la curiosité montrées par les candidats. La plupart des entreprises, et c’est notamment le cas chez J.P. Morgan, considère que les personnes seront formées en interne et n’attende donc pas quelqu’un qui connaît déjà tout. On recherche avant tout un candidat qui sera prêt à faire l’effort supplémentaire et qui aura envie d’apprendre et d’évoluer. Aujourd’hui, un candidat qui a un parcours très riche et qui sait en parler et montrer son dynamisme sera très bien perçu. Par exemple, j’ai récemment vu un jeune qui a décroché un très beau poste dans un groupe de Private Equity généralement réservé aux étudiants qui sortent de Parisiennes. Il a un très beau parcours, et notamment sportif, qui m’a convaincu et qui montre une motivation et une abnégation qui sont recherchées dans ce type de postes.
Au moment de mon recrutement, ce qui m’a toujours aidé, c’est la curiosité. Il faut avoir envie de connaître le domaine. Cela passe par la lecture de la presse, de livres, de contacter des gens pour apprendre de nouvelles choses. Ce n’est pas en regardant le cours de Total ou du CAC40 juste avant l’entretien ou en apprenant par cœur les 3 derniers deals signés à Paris que l’on montre sa curiosité. Il faut que cela soit naturel et qu’un candidat puisse parler d’un sujet qui le passionne.
Peux-tu nous parler de tes missions en tant que Southeast Asia Head of Alternative Investments chez J.P. Morgan ?
En une phrase, on pourrait résumer mes missions ainsi : j’aide nos clients privés à bâtir une exposition aux actifs non-cotés sur le très long-terme. De façon plus détaillée, il y a une équipe de recherche qui source les idées pour moi et nos clients partout dans le monde. Mon but est ensuite de présenter ces idées à nos clients et de faire en sorte de satisfaire leurs objectifs de rendement tout en prenant en compte leur tolérance aux risques. On bâtit ainsi des portefeuilles de Private Equity, dettes non-cotées, immobiliers et infrastructures que l’on propose à nos clients.
Penses-tu que le CFA (Chartered Financial Analyst) soit un passage obligatoire pour travailler en finance ?
De mon côté, je ne refuse jamais un candidat qui n’a pas le CFA, puisque je ne l’ai pas passé moi-même. Il est cependant vrai qu’un jeune qui a le CFA, même juste le niveau 1 ou 2, a un avantage. Indépendamment de la certification en elle-même, puisque je ne suis pas sûr que les enseignements très poussés en compta ou en maths soient utiles tous les jours en finance, pour moi c’est surtout la capacité de travail, de persévérance et d’abnégation que montre le candidat qui passe le CFA qui doivent être saluées.
Ce n’est donc pas un « must » mais c’est un véritable avantage. Pour un étudiant qui a du temps, à l’école notamment, ou un junior qui est dans un job qui ne lui plaît pas, préparer le CFA permet de réaliser l’effort supplémentaire dont je parlais et de montrer sa volonté et sa motivation aux entreprises. Être capable d’aligner 150 à 200 heures de travail par an, et ce pendant 3 ans, pour passer une certification est une preuve indéniable de la force de travail et de crédibilité d’un candidat. Pendant ma carrière, j’ai déjà vu des gens dont le regard changeait quand ils apprenaient que la personne en face d’eux avait le CFA.
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Lors du recrutement, est-ce qu’un candidat qui aurait une carrière en finance d’entreprise aura ses chances en asset management ?
Bien sûr, il existe énormément de passerelles entre les deux. Pour tous les jeunes qui ne savent pas nécessairement ce qu’ils veulent faire, commencer par des jobs très élitistes tels que le M&A (Fusions & acquisitions : domaine de la finance qui vise à accompagner des dirigeants d’entreprises lors de la vente de leur société), le conseil ou la banque d’investissement est plutôt conseillé. Avec ces métiers, on peut apprendre tout ce qui est nécessaire de connaître en gestion d’actifs comme la valorisation ou la gouvernance d’une entreprise. Même si cela ne confronte pas directement aux marchés de capitaux, ce sont des connaissances fondamentales qui permettent de travailler ensuite en banque privée ou en gestion d’actifs. Venir du corpo au moment du recrutement en gestion d’actifs est même plutôt une valeur ajoutée.
Une trajectoire classique est d’ailleurs de commencer en conseil ou en M&A, de continuer dans un fonds de Private Equity et d’arriver en banque privée ou asset management ensuite.
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De la même façon, entre quelqu’un qui a commencé sa carrière en startup et quelqu’un qui a des « brand names » sur son CV, qui vas-tu préférer ?
Je n’ai aucun a priori vis-à-vis de ces profils et les considère de la même façon en entretien. Chez J.P. Morgan, on essaie d’avoir des profils très différents les uns des autres, ce qui fait aussi la richesse de l’entreprise. Certes, dans certains domaines comme le conseil ou le M&A, les « brand names » d’entreprises et d’écoles sont primordiaux et auront le dessus. De mon côté, ce ne sont pas des critères de recrutement et des profils différents sont évalués de la même façon.
Certaines banques, comme J.P. Morgan, ont été précurseures au niveau du recrutement et ont très tôt cherché des profils divers, que ce soit via la discrimination positive ou pas. Aujourd’hui, il est intéressant de voir que d’autres entreprises s’y mettent et participent donc à l’ouverture de la finance vers différents profils de candidats.
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Avec l’essor de l’IA et du code, on a vu un nouveau profil de personnes apparaître en finance de marché, à savoir les « quants » (professionnels utilisant des modèles mathématiques et statistiques en finance). Est-ce que tu as déjà vu le développement de ces profils en gestion d’actifs ?
Oui bien sûr, on voit déjà actuellement le changement apporté par l’intelligence artificielle. Cela se manifeste, par exemple, par des formations dispensées à toutes les personnes qui travaillent avec nous. Quand je vois la rapidité avec laquelle le monde change, je suis très content de faire de la finance car cela m’aide à comprendre le monde dans lequel je vis (ce qui était d’ailleurs une de mes motivations pour faire de la finance de marché). Je passe ma journée à suivre de grands équilibres mondiaux, des tensions géopolitiques, et ce grâce à des chiffres qui font sens et qui expliquent beaucoup des problèmes que le monde rencontre.
Sur l’importance du code en finance, c’est vraiment essentiel. J’ai vu des personnes qui n’avaient aucune appétence pour l’informatique apprendre le python pour faire leur métier. Au même titre que le CFA que l’on évoquait plus tôt, savoir coder me paraît être un excellent avantage à mettre en avant sur un CV et montre la capacité d’abnégation dont fait preuve un candidat.
Un conseil pour la fin pour nos lecteurs ?
Bien que je sois persuadé que chaque parcours et chaque carrière comprend une part de chance, je suis convaincu que rien n’est impossible et qu’aucun métier ou entreprise n’est inaccessible. Si vous êtes capable de travailler et de fournir « l’effort supplémentaire » par rapport aux autres candidats, vous pourrez effectuer de très belles carrières. N’hésitez pas à contacter des professionnels et alumni, qu’ils soient de votre école ou non. Vous pourrez rencontrer des gens qui, même s’ils ne vous embauchent pas en stage ou en CDI, sauront vous donner des conseils et vous aider à évoluer !
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